Deux
frères vivaient ensemble. Depuis longtemps, ils avaient enterré
leur père et, à part l'un l'autre, ils n'avaient personne au
monde.
Ils
s'aidaient mutuellement, et vivaient dans l'affection et la bonne
entente fraternelle.
Ils
gagnaient pauvrement leur vie en allant à la pêche. Chaque matin,
dès que pointait le jour, ils prenaient leurs filets et allaient en
mer.
Parfois,
lorsqu'il leur arrivait de prendre un poisson particulièrement beau,
ils ne le vendaient pas, mais le rapportaient chez eux, le faisaient
cuire et le mangeaient. L'aîné,
qui avait compassion de son cadet, mettait toujours sur l'assiette
de son
frère le corps du poisson entier, ne gardant pour lui que la
tête.
Le
plus jeune, constatant la répétition du fait, hocha un jour la tête
en se demandant pourquoi son aîné ne le laissait pas goûter lui
aussi à la tête.
«
Serait-ce un morceau particulièrement délicat », se
demandait-il.
«
Est-ce pour cela que mon frère se le garde toujours ? »
Et
ainsi prit naissance dans son coeur un sentiment de haine pour son
frère aîné.
Et
un jour qu'ils avaient pris place dans leur barque pour aller en
haute mer, le plus jeune profita de ce que l'aîné, le dos tourné,
se penchait hors de la barque, pour le pousser à l'eau !
«
Et maintenant, je pourrai me régaler moi aussi des têtes de poisson
!»
se
dit le plus jeune en se frottant les mains. Il rapporta le produit de
la pêche à la maison, fit frire le plus beau poisson, et se mit
tout de suite à attaquer la tête. Mais quoi ? Sur cette tête, il
n'y avait pour ainsi dire rien à manger.
Rien
que des grosses arêtes comme des os, et pour les joues, elles
n'avaient pas un goût particulier.
Ce
n'est qu'alors que le cadet comprit que son grand frère l'aimait
tant qu'il lui laissait toujours le meilleur, et ne lui donnait
jamais la tête qui ne valait rien.
Il
pleura amèrement, et courut vers la mer, qui s'étendait là, sombre
et triste.
-
Frère, ô mon pauvre frère, où es-tu ? criait le cadet, bien
malheureux, mais personne ne lui répondit. Seule la mer mugissait,
et les vagues se soulevaient.
C'est
en vain que le cadet appela son aîné, personne ne lui répondit.
Pour finir,
il se décida à aller chercher son frère au fond de la mer. Il
sauta à l'eau,
et la surface des flots se referma sur lui pour toujours. Plus
personne
ne
l'a jamais revu, depuis lors.
On
raconte qu'il s'est noyé, et que son âme s'est changée en l'esprit
de l'oiseau
pleureur qui fait interminablement des cercles en planant au-dessus
de la mer, et en pleurant désespérément son frère perdu.
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